contexte ≈ the remotest place on earth.

Tristan da Cunha, latitude 37°4' sud, longitude 12°16' est. Île volcanique au milieu de l'Atlantique Sud, à sept jours de voyage du continent, quand les conditions sont bonnes. Onze kilomètres de long pour deux cent soixante habitants.

Je marche le long de la route (je ne précise pas laquelle, tu sais qu'il n'y en a qu'une sur l'île) et je m'aperçois que je pourrais la parcourir les yeux clos. J'essaie un instant de les fermer, et me laisse guider par mes pas sur le bitume, l'odeur d'embruns qui s'élève de l'océan voisin, et la pente douce qui descend vers la Colonie. Le moindre virage, la plus petite aspérité, sont ancrés en moi comme autant de stigmates de ma courte vie sur Tristan. J'ai vu l'île sous le soleil écrasant, la pluie drue qui tombe si souvent, battue par les vents, de jour, de nuit, au crépuscule. A l'aurore, une fois seulement : pour voir partir le cargo qui t'emmenait loin de moi.
Moi, je suis resté.

Je m'autorise à voir de nouveau quand je passe devant l'arrêt de bus, à l'entrée du village. L'île est parcourue d'un seul autocar, qui circule sur cette route unique. J'en sais par cœur les arrêts, que je récite automatiquement : Hottentot Point, le port et sa conserverie de langoustes ; Potato Patches où sont cultivés les potagers ; Black Sand Beach où l'on allait chercher les coquillages sur le sable sombre ; The Caves où tu t'étais mouillée les jambes jusqu'aux genoux dans l'eau glaciale (tu avais frissonné tout le trajet du retour) ; et puis le sentier qui mène jusqu'au cratère qui nous domine. Je les énumère un à un, à voix haute, en comptant sur mes doigts. Il ne m'en manque aucun. Je traverse Edinburgh of the Seven Seas, notre petite Colonie faite de maisons au crépi blanc ou en pierres volcaniques, rafistolées au fil des ans par les uns et par les autres.

Au-dessus des bicoques, une coulée de lave d'autrefois vient maculer de sa noirceur le vert vif de l'herbe humide. Je l'arpente, surplombant le village et l'étendue bleue – toi, tu disais grise – qui nous entoure, accompagné seulement des cris des pétrels déjà de retour. Au loin, le MV Edinburgh fait retentir sa sirène : il s'approche pour son excursion mensuelle, chargé de biens, de vivres, et parfois même d'habitants. Une écume claire se forme tout autour de lui alors que les vagues s'écrasent sur ses flancs.
Avant, je me serais pris à rêver de ton retour. Aujourd'hui, je sais que plus jamais tu ne seras parmi nous autres, pauvres âmes perdues au milieu de l'Atlantique.